Marc o' Maroc 2024

ImageDe la promenade du dimanche au rallye raid, en passant par ton tour du monde à  toi que tu as fait, c'est ici: Organise, rameute, raconte!
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Qohen
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Jour 19 | AL OUED À ASSILAH

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       El Capitan se dresse fièrement dans la lumière du matin qui perce à travers les quelques interstices accordés par les nuages gris. Le ciel est couvert, mais il ne fait pas très froid, contrairement à nos attentes. On descend pour le petit-déjeuner sans se presser, car la journée sera courte. Une fois attablés en terrasse, où il y a moins de bruit que dans la salle et où l'on peut profiter pleinement de la vue, l'employé nous demande si on préfère le thé marocain ou celui avec les herbes locales. Les herbes locales, pardi ! Et ce fut la bonne décision, car nous avons bu le meilleur thé de tout notre séjour. Les herbes locales (je n'ai aucune idée de ce que c'était) ajoutaient une richesse supplémentaire et une longueur en bouche qui donnaient au thé plus d'amplitude qu'un simple bon dosage entre menthe et sucre. Un régal.
       Pendant que Boris finit de se préparer, je retourne sur la route des gorges pour filmer et prendre quelques photos, car la veille il faisait trop sombre. Le ciel gris blafard n'est pas optimal, mais c'est déjà mieux. Je rejoins Boris et nous prenons la route de Chefchaouen.
       L'orage n'arrivant que le lendemain, nous avons décidé de poursuivre aujourd'hui encore. L'endroit est chouette, mais ça reste une chambre d'auberge et nous ne sommes pas vraiment équipés pour les randonnées et crapahutages qu'offre la région. De la même façon que Boris va visiter Chefchaouen, que je connais déjà, je vais visiter Assilah, que Boris connaît déjà. Deux boucles bouclées… Boris m'assure qu'Assilah, pour une ville touristique côtière, est vraiment tranquille en cette saison, sans être morte. On y sera bien, en face de l'océan, pour passer l'orage qui arrive normalement ce soir. Je regarde Ventusky régulièrement depuis plusieurs jours, maintenant, en repensant souvent à l'Espagne, l'année dernière, où Amandine et moi avions fini par devoir improviser jour après jour pour slalomer entre les orages (et les inondations !).

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Tout et n'importe quoi pour stopper les touristes !

       Je reconnais la route de Chefchaouen et son immense avenue d'une grandiosité saugrenue. Je retrouve le chemin de la medina et le parking du Parador. Ce qui me saute aux yeux, c'est la différence de fréquentation entre il y a trois semaines et maintenant. C'est loin d'être là cohue, mais là où lors de mon premier passage j'étais pratiquement seul dans les ruelles, il est désormais difficile de prendre une photo sans avoir quelqu'un dans le champ. Le café allongé sur la place de la fontaine, à côté de quelques groupes de touristes un peu bruyants, nous allège d'un euro cinquante chaque. C'est un peu moins sympa que la première fois, mais je ne suis pas vraiment surpris. On sait à quoi s'attendre dans des lieux pareils. Une heure sur place, et nous reprenons la route. L'air est lourd, j'ai chaud, et mes doutes me rattrapent. J'ai envie de rouler pour me ventiler, mais peut-être que la vraie raison est qu'en roulant, il m'est possible à tout instant de rebifurquer vers le sud et de repousser un peu plus le retour à la « vraie vie », incertaine, indécise et angoissante.
       Contrairement à ce que je croyais avoir programmé, Maps nous envoie sur l'itinéraire nord, qui s'approche de Tétouan. À mesure que l'heure avance, le ciel se découvre tout doucement et je retrouve un peu d'entrain (il ne me faut pas grand-chose). Mais l'aspect du ciel, des nuages, de la campagne, est terriblement européen.        Entre mon premier passage et maintenant, la route a subi de gros travaux qui sont encore en cours. C'était la même chose en descendant vers Midelt. L'ancienne deux voies est en cours d'agrandissement et de réfection en quatre voies. Les passages de graviers, la poussière et les ralentissements brusques des gros véhicules ne laisse pas trop le loisir de regarder le paysage, qui reste, malgré sa familiarité, très agréable.

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       Quand la N2 s'ouvre, on peut voir au loin les montagnes du Rif, parallèles à la route, jusqu'à l'horizon, coiffées de nuages gris qui n'arrivent pas à se décider entre voler dans le ciel ou s'essorer en pluie. Les cultures s'étalent sur ses flancs en un patchwork de couleurs agricoles. Je regarde autour de moi, l'humeur un peu neutre, effacée, équanime. Je flotte, en quelque sorte, entre l'excitation du voyage, qui s'estompe depuis qu'on a quitté le sud, et le dépit de devoir rentrer bientôt, que cette trace erratique tente maladroitement de repousser. Bien sûr que l'orage, avec ce qu'il a de pénible, qui descend actuellement sur le Portugal et l'Espagne, est une justification suffisante pour allonger un peu mon séjour. Sans lui, je serais sans doute déjà rentré. Mais je sais aussi que cette raison est un peu spécieuse. Il y a aussi le fait que Boris n'a pas prévu de partir si tôt, qu'il est déjà de retour dans le nord, qu'il a pratiquement coché toutes ses cases au Maroc, et que malgré tout, ça me gênerait de le laisser en plan ici. Même si techniquement, on est chacun dans un voyage solo.
       Pour écarter un moment ces réflexions, dès qu'on sort des travaux et que la N2 déploie ses quatre voies propres devant moi, je bombarde. La route est fluide, rapide, pas trop de circulation — allez, on s'amuse. En réalité, j'atteins même rarement les cent kilomètres par heure, mais gérer la circulation et maintenir un bon quatre-vingt-dix ou quatre-vingt-quinze dans tous les virages procurent déjà pas mal de fun. Boris a du mal à garder l'allure (mais je l'ai prévenu que si je pars devant, je l'attends plus loin de toute façon, chacun roule à son rythme), mais il tente, et une fois arrivés, il me confie que ces petites sessions dynamiques l'aident à se convaincre que la moto peut pencher et passer vite ; lui qui roule très, parfois trop « pépère ».
       La route restante n'est pas très longue, donc on enchaîne. La départementale roulante et presque déserte nous fait passer, sur ses longues courbes douces, à travers la campagne verte et vallonnée. Par-ci, par-là, avec les érections de pierre montagnardes au loin et les collines vert pomme, j'ai une vague impression de tableau alpestre. Des réminiscences de Haute-Savoie flashent dans mon esprit. L'apparition progressive d'un lac nous offre un panorama qui ne se refuse pas. Il est vrai que même si la route est plutôt agréable, les vues sont moins spectaculaires que dans l'Atlas et le sud. C'est une autre ambiance, certainement.

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       Section suivante, autre ambiance. Sitôt passé le lac, nous finissons de descendre des reliefs pour nous trouver dans une plaine rase et cultivée que nous traversons sur de petites routes agricoles trouées de nids-de-poule. La population visible se résume à quelques ânes, et les voitures qui circulent. Visiblement, ça circule quand même pas mal, car au bout d'une courte ligne droite, nous manquons de peu de nous faire attraper par un radar mobile… Il n'y a pas de raison de se presser, finalement.
       J'ai un peu coupé le cerveau, à ce moment. Je regarde simplement le paysage, sous un ciel à moitié bleu, et je me coule dans une sorte de calme intérieur. La platitude des environs m'apporte une forme de paix et de quiétude, au sortir des montagnes plus… conflictuelles. J'ai l'impression de respirer un peu mentalement. Un soulagement, au moins provisoire. On y est presque, on sera bien installés, je pourrai marcher un peu. C'est bizarre à dire après avoir tant apprécié traîner dans le désert, si loin des côtes, mais j'ai comme l'impression d'avoir étouffé dans le Rif, et que là, je respire de nouveau, sur la plaine, tout près de l'océan. Ah, sans doute la coïncidence de mes ruminations…
       Je n'arrive toujours pas à me faire à toute cette végétation. Sur les derniers kilomètres, qui descendent vers Assilah en longeant l'océan du haut de la colline, la route est bordée de buissons, de plantes et de fleurs au point de masquer le paysage au-delà. Tout est si vert. Ma tête est encore dans le désert. Lorsque Assilah surgit, avec ses trottoirs, ses palmiers, l'océan à portée de main, je sens s'infiltrer quand même un petit sentiment de réconfort et de familiarité à la perspective de revenir dans un cadre urbain — délimité, propre, facile. C'est peut-être à ce moment que mentalement, le voyage était terminé. Large terrasse pavée en front de mer, café avec service quelconque, places de parking, autant de signes de mon cadre européen habituel auxquels je ne suis, malgré le dépaysement et l'immersion, toujours pas étranger. J'ai de plus en plus de mal avec les dérives de l'Occident, mais les objets signifiants, comme dirait Bourdieu, de sa culture restent porteurs de ce que je ressens intimement comme mon foyer. Trois semaines, c'était bien trop court me déculturer.

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       Notre hébergement est un grand appartement situé autour du golf d'Assilah. Deux terrasses donnent l'une sur l'océan, l'autre sur le golf. Deux chambres, cuisine, salon, bref, de quoi être bien pour passer deux nuits (mais pas de Wi-Fi !…). On oubliera juste le gardien qui a essayé de m'escroquer un bakshish — quand j'en ai informé le propriétaire, il était furieux… Le resort est, sans surprise, pratiquement désert. On n'aperçoit qu'une poignée de voitures ça et là, mais les gardiens et les équipes de ménage sont présentes. Je me demande si certains vivent ici à l'année. Quoiqu'il en soit, nous sommes seuls dans notre bloc, ce qui me va très bien.
       Comme il est encore tôt, on reprend les bécanes, déchargées, pour aller faire un tour en ville et quelques courses. Près de la médina, de grands cafés sont ouverts et il y a, entre les rues, une animation modérée et détendue qui me convient tout à fait. La médina elle-même est tranquille, là aussi un peu plus fréquentée que lorsque Boris y est venu la première fois, mais rien de pénible. Blanche et bleue, cette médina se montre impeccable. Beaucoup d'établissement sont fermés ; sur certains, quelques ouvriers sont affairés à rafraîchir les peintures avant le début de la saison.
       Nous allons jusqu'à la jetée pour grimper sur les blocs de béton qui la protègent. De là, on peut voir les murailles de la médina, comme sur la photo du Michelin. C'est le point de vue inratable d'Assilah, celui qui, j'imagine, inonde Instagram. Ces vieilles murailles salies par des décennies et des siècles d'écume s'écrasant sur elles n'ont pas totalement perdu leur atmosphère et l'on imagine sans peine les débarquements espagnols et portugais, comme en de nombreux autres endroits de la côté. Au fil des rues, Boris me signale une synagogue et une église catholique, dans un état impeccable. Apparition surprenante. Un exemple supplémentaire que différentes confessions peuvent tout à fait cohabiter, y compris dans des pays musulmans. À croire, selon certains, que c'est là quelque idéal difficilement atteignable, et pour lequel il faut se battre… Oui, quand on ne sait pas que ces cohabitations sont millénaires et que ce sont surtout les recompositions géopolitiques et les dérives sociales modernes qui font obstacle à une cohabitation décontractée. Les hystériques qui exigent des « progrès » sans comprendre que le problème vient des régressions récentes me fatiguent.
       Je garde les motos pendant que Boris écume les épiceries. Un homme, tout sourire en voyant les bécanes, me demande sans syntaxe : « Moto ? Sahara ? » Je lui réponds si, Sahara, en mimant la poignée de gaz. Je lui montre l'autocollant Garage Sahara Zagora collé sur le garde-boue de la CB500X. Il exulte et me tend la main. Je la serre, et pendant la poignée de main, il se penche et m'embrasse le dessus de la main, puis repart avec le même grand sourire. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris, mais ça a l'air de le rendre heureux, donc ça me fait plaisir.

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       Le vent se lève en fin d'après-midi, en grosses bourrasques. Le ciel noircit progressivement. Il n'y a malheureusement pas d'endroit où mettre les motos à l'abri, donc on les laisse garées devant le bloc, en espérant qu'elles ne se renversent pas — surtout celle de Boris avec sa béquille trop longue. Le soleil reste visible tout le long du crépuscule et nous offre un grand spectacle rouge et doré sur un océan turquoise, avant de quitter la scène et de laisser place à une nuit de secousses et de pluie énervée.

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Jour 20 | ASSILAH

Message par Qohen »

       Ma première pensée, lorsque je me réveille peu avant le lever du soleil, est d'aller vérifier que les motos vont bien. Je m'habille et descends aussitôt l'escalier. Le vent continue de souffler à tout va mais la pluie s'est momentanément calmée. À peine j'arrive dans le hall que j'aperçois l'inévitable, auquel je m'attendais dès qu'on avait garé les motos la veille. Cette foutue béquille. La CB500X est couchée sur le flanc droit, posée sur le pavé de bordure du bitume, quasi à l'horizontale. Je fais le tour. La poignée a troué la bâche de protection et s'est enfoncée dans l'herbe. Fort heureusement, la moto repose sur le crashbar, donc normalement, pas de dégât à déplorer. Sous les quelques dernières gouttes de pluie, je la relève, non sans mal. La bâche a probablement provoqué un effet parachute. Enfin.
       Finalement, l'orage se calme en fin de matinée. Le ciel bleu revient plus rapidement que prévu… Tout cette prise de tête pour si peu ! Je raille intérieurement mes surréactions. Il faut que je résolve ça, un jour.

       En milieu de journée, on retourne dans le centre d'Assilah à pied. La présence d'un acolyte avec qui converser est une manière de distraction, mais je sens bien que c'est une journée blanche, comme je les appelle. Une journée suspendue entre deux états, entre deux points, indécise. Sans joie ni chagrin, sans réjouissance ni peine — simplement contentée et attentiste, en quelque sorte. Équanime. Quand je baigne dans cette humeur, je reçois toute stimulation avec un détachement amène, comme on invite un client à s'asseoir au restaurant, avec cordialité et un sourire sincère mais automatique. Je glisse entre les présences qui peuplent mon environnement, je me faufile sans effort dans le flux cinétique de ce jour. Rien ne m'arrête, rien ne me perturbe. Je suis juste là, observateur non impliqué et non imprimé.
       Nous retournons flâner dans la médina, portant sur notre dos la suite incertaine de nos projets. Ou la suite de nos projets incertains. Normalement, je reprends demain le ferry. Je l'ai répété ces derniers jours avec trop d'assurance, comme si je l'avais clairement décidé, comme si j'étais emballé par cette nouvelle étape dans un voyage plus long. Oui, je rentre demain. Mais ce n'est pas le plan, c'est juste… ce qui se dessine de soi-même. Je ne vais pas repartir dans le sud ou arpenter la côte, je ne vais pas continuer d'explorer le nord ni repartir complètement à l'est ; je n'en ai pas l'envie, je n'en ressens pas l'appel, et toujours au-dessus de moi plane, même de très haut, l'ombre des dépenses. À cet instant, à mes yeux, c'est la seule suite envisageable.

       On remarque, d'ailleurs, en jouant avec l'idée pas sérieuse de descendre jusqu'en Mauritanie, que le Maroc est un peu un cul-de-sac. Au-dessus, l'Europe ; à l'est, la frontière fermée ; et au sud, un grand rien suivi de la Mauritanie. Pas trop envie de passer une semaine à Rabat en attendant mon visa, et Boris non plus. Et puis, on est d'avis que la Mauritanie c'est encore autre chose, et que ça se prépare un minimum. Ou pas ; peut-être qu'on ne cherche que des excuses. Difficile à savoir, dans ce jour blanc.
       Malgré les prix élevés, Boris a trouvé un ferry abordable, mais qui ne part que dans une semaine. Le temps de rayer encore deux items sur sa liste, Meknès et Fès. Je sens toutefois que son entrain s'est calmé. La perspective de reprendre la route seul ? Ou peut-être un peu de blues, après cinq mois de voyage. Là encore… tout flotte, incolore et inodore.

       Aux abords de la médina, nous nous attablons au café que connaît Boris. Il fait beau — de gros nuages blancs s'empressent en altitude mais le soleil est présent. Entre deux gorgées de thé, nous reparlons de l'avenir. Comment se rendre utile, quand on ne sait concrètement rien faire ? Quand on ne sait pas quoi faire ? Quand on ne sait pas ce qu'on veut ? Il y a des possibilités, oui ; ça, ou ça, pourquoi pas cela ; mais rien qui spontanément nous appelle. Bon, il n'y a pas d'urgence, nous ne sommes qu'à quelques mois d'avoir quitté nos jobs, mais on sent bien que cette période de liberté, imaginée et phantasmée comme une parenthèse de respiration mentale, est sous-tendue par une discrète anxiété.
       Savoir où l'on va — où l'on veut aller — doit être si reposant. Le road trip, c'est une forme de substitut, une direction que l'on contrôle. C'est d'autant plus vrai de celui-ci. Puisque nos vies ne progressent pas, en tous cas dans la partie émergée de l’iceberg, on convertit la progression sur la route. Comme une continuité du mouvement de la vie qui prend le relais du quotidien intégré au système. On quitte l'un pour embrayer sur l'autre, avec la vague idée de rembrayer sur la première quand le voyage sera terminé. Sommes-nous si indulgents avec nos illusions ? Je pense qu'au fond nous savons très bien que les deux ne sont pas équivalents, et il suffit d'une rupture de tempo un peu imprévue, un peu improvisée, pour qu'influe la réalisation que le voyage souhaité comme « transformateur » n'est bien souvent qu'une gesticulation. Une chouette gesticulation, mais sans réel impact.
       Il y a toujours des moments de doutes au cours d'un long voyage, surtout en solo ; et bien que je rechigne vraiment à qualifier mon voyage de « long », je n'échappe pas à ces doutes. La trace se débine. Elle m'échappe des mains. En y repensant, ce n'est pas très différent des Balkans en 2022 ou de l'Espagne en 2023 : le programme bien huilé a fini par céder face aux contraintes du réel. Avec le Maroc en sus, j'ai même l'impression d'un crescendo. Il faut que je travaille mes fins de road trip, ou bien, plus simplement peut-être, et malgré mon approche nettement plus ouverte et improvisée qu'aux débuts, faut-il que je lâche prise. Je m'embarque sur la distance avec une idée en tête et peut-être dois-je accepter que parfois (souvent), la route m'emmène ailleurs. Et plutôt que de m'éparpiller dans des plans de rattrapage, je devrais me laisser emmener. Partir en voy-age, est-ce aussi apprendre à ouvrir les yeux sur notre chemin de vie ?

       En reprenant la direction du parcours de golf, nous traversons le marché pour quelques courses. Je m'empare enfin de quelques pâtisseries marocaines, qui m'auront éludé tout au long de mon trajet. Je me sens déjà un peu détaché, comme si je flottais tout près du quai du Maroc, mais les amarres détachées, simplement là par caprice des flots. Décider quoi cuisiner ce soir nous occupe bien trop longtemps et je passe d'une épicerie à l'autre avec bien trop d'hésitation.
       Au cours de notre longue marche jusqu'à l'extérieur de la ville, nous réfléchissons à voix haute sur quelques phénomènes locaux qui nous laissent perplexes. Un immense panneau devant un terrain en début de construction propose des appartements à la vente à des prix européens. Celui-ci vante une maison de ville (devant l'avenue, dans une barre de maisons, sans jardin) pour un million cinq. Absurde, délirant. En lisière des blocs relativement récents commence immédiatement le bidonville. Entre les deux, le stade municipal, décrépi et croulant. Si tu regardes bien, me dit Boris, tu verras que le stade est toujours construit dans les quartiers pauvres. Ça occupe les pauvres et ça donne un peu d'espoir, j'imagine, aux jeunes. L'urbanisme et l'économie à deux vitesses, comme partout ailleurs.
       Un terrain vierge, puis juste après, le golf et ses appartements qui se rêvent luxueux. Mais si l'extérieur est soigné, l'intérieur l'est beaucoup moins. Ils n'ont pas nos normes de construction et d'aménagement, ça c'est sûr. Les placards mal ajustés, les jours sous les portes et les fenêtres, l'humidité qui s'infiltre par endroits, le mobilier juste assez mal disposé ou aligné, etc. Ce qui frappe, c'est l'absence de finition (pour beaucoup il ne s'agirait même pas de finition !). Comme j'ai pu l'observer ailleurs, quand l'argent commence à arriver et qu'on veut rattraper le retard de prestige sur ses modèles, on préfère s'équiper plus gros et mal fini plutôt que plus petit et mieux fait. Personne n'ira examiner dans le détail, à part le propriétaire, mais il faut que sur les photos, de loin, ça exhibe une aisance financière, un certain goût du lucre assumé et un peu clinquant. Un golf resort pour Européens et Marocains soi-disant fortunés, avec gardiens et équipes de ménage, mais qui est en réalité moins bien fini que n'importe quel studio ici. Encore un exemple est le parking sous-terrain qu'une nuit de pluie a suffi à inonder.
       On me répondra que le Maroc n'a pas les moyens des nations européennes et que leur priorité n'est pas dans la finition. Le souci du détail est une préoccupation de oisif, de riche (ne parlons pas de dettes nationales). Je ne conteste pas du tout. Mais j'ai du mal avec cette volonté (essentiellement mercantile) de vouloir avancer en accéléré mais de manière bancale. Les constructions hâtives et ambitieuses, qui ne veulent pas se donner tous les moyens, se condamnent à être rasées et refaites à moyen terme. Je ne vois pas tellement d'autre issue, a priori, que ce qui tombe sur nos propres pays : un vieillissement général des habitations et le coût prohibitif de leur entretien ou de leur réfection. C'est possiblement l'un des constats les plus déprimants à mes yeux : voir des pays en émergence ne pas tirer les leçons de ceux qui les ont précédés, mais suivre leurs conseils dont on voit aujourd'hui de plus en plus les conséquences désastreuses. Les empires du passé n'ont pas été édifiés à la va-vite.

       Quand le soir commence à tomber, par sécurité, nous déplaçons les motos dans la descente du parking souterrain. La pluie devrait revenir ce soir, et du vent elles seront au moins protégées.
       Ce vent qui recommence à souffler fort quand le soleil glisse inéluctablement vers les flots, en brûlant au passage quelques masses nuageuses arrivées en avance. Ce n'est pas seulement le jour qui s'achève. Le crépuscule est dans mon voyage, dans mon idée de ce voyage, dans ma tête. Je ne repense pas à tout ce que j'ai vu et vécu ; je garde ça pour mes séances d'écriture. Je ne pense pas à grand-chose, à vrai dire. Je pense à résister au vent et au froid, à où je mets les pieds, en tongs dans l'accotement herbeux et en friche. Je fais taire ma petite voix intérieure pour mieux entendre les vagues qui s'écroulent en contrebas. Je garde les yeux sur le soleil, ce point de repère fondamental autour duquel s'articulent mes pensées et mes rêves. C'est lui que je cherche, quand je pars ; principalement ou accessoirement, mais il est toujours en ligne de mire. C'est le soleil qui me ponctue, comme si j'attendais de lui, ô astre, qu'il fasse enfin la lumière sur le chemin de mon existence.

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Jour 21 | ASSILAH À TANGER MED

Message par Qohen »

 
       Le ciel bleu illumine la chambre où je m'affaire entre les sacoches. Pour une raison qui m'échappe, je m'applique à réorganiser mon bordel dans un souci d'optimisation. C'est pourtant parfaitement superflu, désormais. Tout ce qui ne sert qu'occasionnellement ou exceptionnellement, dans les sacoches latérales ; toutes les affaires du quotidien, dans le drybag de selle. À une ou deux reprises, sur la route, j'ai recomposé mon chargement pour plus de praticité. Mais quel intérêt, maintenant qu'il ne me reste que quelques heures ? Suis-je assez candide pour me façonner à moi-même l'illusion que la route est encore longue ?
       Nous n'avons presque plus de café. Je m'autorise une tasse et laisse le reste à Boris. Je finis l'amlou avec quelques tranches de pain, au milieu des dernières affaires éparpillées dans le séjour. Lorsque je descends mes affaires pour charger la moto, dans le calme lourd du matin sur le golf où presque personne ne réside, le vent est tombé — au niveau du sol, en tous cas. Je ne pense à rien de précis. Je trimballe les sacs en jetant un œil à l'océan. Je n'arrive pas à me décider entre rester contemplatif pendant le peu de temps restant ou me focaliser sur la logistique pour esquiver l'amertume du départ.
       Les nuages, nombreux et ronds, filent hauts dans le ciel, comme un peloton. On dirait qu'après avoir passé le temps sur la côte et fait la fête, ils reprennent la route depuis l'aurore pour une destination qui m'est inconnue. Comme s'ils n'avaient plus rien à faire ici, eux non plus. Leur mouvement éolien, malgré moi, m'entraîne. J'examine les quelques traces de rouille restantes après le graissage et l'entretien d'hier — les effets de la pluie salée. Boris est encore en haut, donc je procède à mes préparations dans un silence concentré. Je n'ai pas grand-chose à me dire à moi-même.

       Boris commence à rassembler puis sortir ses affaires lorsque j'enfile mon équipement. On échange quelques informations et plaisanteries, avec ce ton à la fois léger et lourd de l'attente de la séparation. Cette semaine passée a pas mal changé nos voyages respectifs, et si chacun s'apprête à retourner dans son projet initial, il est difficile de nier que quelque chose se perd. Nous n'avons pas d'heure pour le départ, mais son imminence vague m'empêche d'être totalement insouciant. J'ai un peu ce syndrome de décoller sur-le-champ, quand vient l'échéance ; je n'aime pas traîner sur le départ. Il est temps d'y aller, on charge et on taille la route, pas de délai, pas d'allongement artificiel du moment qui précède le départ.
       Nous démarrons les meules avec une petite appréhension. Dans deux cents mètres, chacun reprend son chemin — de voyage, de vie. Dernière vérification, tout est sanglé, l'équipement est fermé. Bon, eh bien, c'est parti. Je souhaite une bonne suite de voyage à Boris, et nous nous séparons sur une embrassade. Quelle rencontre improbable. Qu'essaie-t-on de me dire ? Ah, j'aurai tout le temps d'y penser pendant les heures d'autoroute qui m'attendent. Nous manœuvrons pour sortir de la rampe du parking, et après quelques derniers coups d'œil en direction de l'océan apaisé, nous remontons l'allée vers le portail d'accès. Le gardien en poste nous ouvre, nous le saluons, et au bout de la rue, lorsque surgit la grande avenue d'Assilah, nos chemins se séparent et chacun reprend le cours de sa quête en solitaire.

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       Il n'y a pas vraiment de sens à emprunter le réseau secondaire pour ce trajet utilitaire, donc après Assilah je mets les roues sur l'autoroute. Je retraverse la plaine de la veille mais depuis un autre point de vue, plus lointain et détaché. Un peu comme je me sens, ça tombe bien. Comme souvent dans ces moments, je ne pense à rien de vraiment précis. Quelques réflexions pratiques et bien terre-à-terre surgissent comme des moyens de parer à la mélancolie du retour ; ce qui ne fonctionne qu'à moitié. Entre ces réflexions, ma voix intérieure tombe dans le silence ou marmonne en arrière-plan, et sous mes yeux défile le paysage dont je me sens peu à peu étranger.        Derrière les glissières, le bas-côté défile trop vite pour que je le saisisse, et tout le décor devient effectivement décor, façade bariolée hors de portée, irrévocablement distante. Je ne suis déjà plus au Maroc. C'est la raison pour laquelle j'évite autant que possible les autoroutes. Je me sens si affranchi du caractère de l'endroit que je traverse, ça vaut presque un tunnel. Je ne suis pas ici, je suis à tant de kilomètres du port ; je ne suis pas maintenant, je suis à tant de minutes du port.
       Comme dans un élan de bonté, parce qu'il veut qu'on se quitte en bons termes, le temps est redevenu beau. Plus de vent, à peine frais. Le ciel est grand bleu et les nuages finissent de lever le camp. Je sens la chaleur rayonnante du soleil qui inonde les collines vert pomme. Puisque je suis ici, vivement que je sois au port. Par un mouvement naturel, je suis poussé à troquer la mélancolie de l'entre-deux — entre ici et ailleurs, entre avant et maintenant, entre le mouvement et la sédentarité — pour le fourmillement de l'embarquement… même pour le retour.
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       Le port diffuse toujours, à mes yeux, une aura d'anticipation appréhensive, d'attente mêlée d'excitation, de promesses et de crainte. C'est un autre monde, un non-monde enclavé dans les royaumes sédentaires de la terre, un périmètre où règnent ses propres règles, à la fois partie du territoire et isolé par une chorégraphie plus ou moins longue de procédures légales. On n'y fait (si tout se passe bien) que passer, mais on y attend, on s'y installe sans y habiter. On s'y rassemble entre inconnus pour mieux se quitter quelques heures plus tard, comme un cluster de particules formé par les circonstances imprévisibles que la compression forcée pousse à éclater dans toutes les directions — sans malice, sans aigreur, par nature simplement. Il y a quelque chose de métaphorique, de très banal, dans cet univers pourtant géographiquement et légalement en marge.
       Je compte les kilomètres qui tombent un à un. Ma compagnie n'est plus les vieux vans, les mulets ou les Docker, mais les poids lourds et quelques SUV empressés. Peu à peu, les grues du port industriel surgissent derrière la colline qui masque le détroit. J'aperçois seulement un coin de bleu, sur ma gauche. Je commence à reconnaître la route ; et avec elle, je repense aux contrariétés de mon arrivée, surtout mes gants. Petite pointe de déception. Les grues s'effeuillent et exhibent leur absurde complexité structurelle qui surplombe avec une indifférence bovine le bas-côté sale de la nationale, peuplé de garages et cafés routiers, doublé d'une interminable file de poids lourds de tous âges et de toutes conditions, probablement garés là depuis le début de l'éternité.

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       Je pense arriver très en avance, mais lorsqu'au check-in le guichetier valide mon billet, il me dit d'aller tout de suite vers la douane. J'ai reconnu l'aire d'attente pour l'avoir longée depuis l'autre côté des plots, où j'ai changé ma monnaie en arrivant. Je reprends mes papiers et me dirige vers la moto, renonçant à compléter ici mon petit-déjeuner. Plus tard, le petit café de réconfort. En me garant, j'avais aperçu une Norden 901, une GS, et quelques autres modèles. Je démarre, quitte le check-in et m'engage sur la bretelle menant à la douane. Il se trouve que je rattrape une triade de motards, dont la Norden et la 1250 GS ; le troisième est en F800 GS.
       Les premiers postes de douane sont fermés, donc je poursuis, dans le lointain sillage du trio, à travers un circuit désert dans les infrastructures du port, pour arriver enfin aux postes ouverts. Ils s'arrêtent à la file des autres véhicules, et moi derrière. Par le cours des choses, j'évolue avec leur groupe à travers les procédures. Trois Espagnols, pas particulièrement curieux, et moi pas particulièrement disert. Je me cale dans une attente patiente et silencieuse. Premier contrôle de passeport. On enchaîne.

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       On nous dirige vers une zone où une petite dizaine de véhicules attendent, stationnés, au-devant des quelques voitures qui nous précèdent. Des gens attendent légèrement sur le côté, tandis qu'un camion surmonté d'un appareillage encombrant effectue un aller-retour le long de la file garée. De son sommet, un bras d'appareils entoure la file jusqu'au côté opposé. Le camion passe tous les véhicules aux rayons X. Vient notre tour. Les motos en rang par deux. Malgré moi, je suis intégré au groupe.
       Un peu plus loin, c'est le second contrôle des passeports, et l'étape du chien. Je repense à l'avertissement de Boris : parfois, certains malfrats planquent de la drogue dans les véhicules de touristes, espérant ainsi faire passer de la drogue en Europe. Coupable ou pas, le propriétaire du véhicule passe un très mauvais moment. Avant de partir du golf, nous avions quand même examiné un peu les entrailles des bécanes, par acquis de conscience. J'y repense, alors que le chien renifle attentivement mes sacoches — mais il finit très vite et on me signale de poursuivre.
       Examen des bagages. D'un geste flegmatique, on nous fait signe de continuer sans nous arrêter. Voyager à moto, c'est aussi profiter de certains petits privilèges. Contrôle des billets. Parking 17. Bien m'sieur. Nous descendons tous les quatre jusqu'au quai des ferrys. Nous échangeons quelques mots pour nous confirmer mutuellement que c'est bien ici le parking 17, puis nous parquons les montures à la suite des nombreux vans et camping-cars. Donc je pensais arriver particulièrement tôt, mais en fait, il y a déjà pas mal de monde devant nous. Je laisse la moto avec les Espagnols et m'en vais déambuler un peu. Je me demande si cet enculé de Mohamed d'Assilah est de sortie, sur l'autre rive, à essayer d'escroquer quelqu'un d'autre.
       Quelques véhicules plus haut, j'aperçois une 4L couverte de sponsors. Un équipier est dans la voiture. Ma curiosité prend le dessus : 4L Trophy ? Oui. C'était bien ? C'était top. Et nous papotons ainsi un petit quart d'heure. Le jeune m'explique un peu comment ça se passe, la préparation, le rallye, les coûts. Un truc que j'aurais bien aimé faire, mais j'ai appris le principe du 4L Trophy seulement l'année dernière, et j'ai passé l'âge limite. Et où trouver le pognon ? Il m'informe qu'on peut s'en tirer avec dix ou douze mille euros, mais qu'il ne faut pas escompter payer moins. Ce n'est pas rien. Lui a eu de la chance, car c'est l'entreprise du père de son coéquipier qui finance en grande partie l'aventure (« évidemment », commente mon cerveau dans une fulgurance involontaire). Ledit coéquipier qui revient du café adjacent, me lance un « Bonjour » froid et méfiant, donne une consigne à son pote et repart. L'équipage rentre en Haute-Savoie, car le jeune homme lui-même vient d'Annecy, comme ton narrateur. Ha ! Que le monde est petit, en effet. Une poignée de main, je lui souhaite bonne route, et je retourne à mes déambulations.

       J'hésite à aller moi-même faire un tour audit café. J'aime aussi les cafés sur les zones de transit, comme les aires d'autoroute. Ils font partie de cette atmosphère d'anticipation, d'attente d'un mouvement. Je trouve qu'ils conjuguent le réconfort stationnaire et l'appréhension du départ. On y est à la fois là et pas là, dans une présence suspendue, une interruption assumée d'un plus grand mouvement. Se lever de table, c'est réactualiser, raviver, à plus petite échelle, la mise en route. On n'y reviendra probablement pas. On n'a fait qu'emprunter un peu d'espace-temps dans une parenthèse migratoire, et après y avoir absorbé un peu de réconfort, on le quitte sans regret et sans amertume. C'est peut-être ce côté libre qui me plaît ; on vient avec entrain, plaisir, soulagement peut-être, mais aussi sans attaches. Dès l'arrivée, il n'a jamais été question de rester. À chaque départ, on rejoue un lâcher prise entendu, comme un rituel. Mais je ne sais pas du tout quand l'embarquement sera ouvert, et cela a tendance à m'angoisser un peu, donc je reste sur la moto.
       Enfin la file avance. Mais lentement. Plutôt que de faire tourner les bécanes au ralenti, on avance en poussette jusqu'au dernier moment. Deuxième contrôle des billets, suivi d'un troisième contrôle des passeports. Les motos sont traitées en grappe, sur le côté. Les papiers validés, nous pouvons enfin monter dans le navire. Ça y est, j'ai pris l'habitude maintenant : plus de petite excitation mêlée d'appréhension. Je connais la procédure. La moto sanglée, j'attrape la sacoche de réservoir, ma gourde, des biscuits, et je pars chercher les tables en terrasse.

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       Le Maroc s'éloigne insensiblement. À l'aller, à peine m'étais-je installé à la poupe qu'un touriste français m'avait fait remarquer qu'on était déjà pratiquement arrivé au Maroc ; je me suis retourné, et la côte s'élevait déjà devant nous comme si elle avait cherché à me surprendre. Cette fois-ci, je trouve la traversée plus longue et je ne regarde pas vers la proue. Inutile, je vois déjà le rocher de Gibraltar du coin de l'œil. Non, je garde les yeux fixé sur la rive que je quitte, l'esprit silencieux ; non par sérénité, mais par confusion. Je ne sais pas trop comment tirer un bilan de ce voyage. Il est peut-être un peu tôt pour ça, de toute façon. Je grignote mes « Principe » de Lu sans penser à rien de précis.
       L'orage a été évité, et j'ai pu prendre un ferry assez tôt (midi et demi), ce qui me laisse amplement le temps de remonter la pointe espagnole et d'atteindre Portimão avant le soir. Oh, d'ailleurs, mon premier contact avec le Maroc n'était pas cet enculé de Mohamed d'Assilah. J'étais resté là-dessus car ça s'insérait bien, j'imagine, dans le narratif de persécution cosmique douce dont je me défais assez mal depuis quelques mois. Mais non, le premier contact, bien plus positif, remonte à la veille de l'escroquerie, lorsque je descendais par l'autoroute vers Algeciras.

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       Sur la route aller, peu après Séville, je m'arrête à une station service pour grignoter un bout. Le parking est quasi désert, la terrasse un peu cachée derrière la boutique. Je me pose cinq minutes et un homme vient me parler, en me demandant (déjà) si je suis Marocain. Non, mais je vais au Maroc, ce qu'il déduit du look de ma moto. Comme je n'ai pas encore mon billet de ferry, il m'invite à le prendre maintenant. J'avais aperçu quelques-uns de ces préfabriqués aux couleurs des différentes compagnies, mais avec ma méfiance habituelle, je n'y avais pas prêté attention. Méfiant, toujours, je lui dis que je finis mon casse-croûte et que j'arrive. D'ordinaire, je serais parti sans un mot, mais cette fois-ci j'ai tenu parole. Je vais donc dans le préfabriqué et pendant que l'employé, Marocain, prépare mon billet (moins cher qu'en ligne et sans contrainte de date ni d'horaire), nous commençons à discuter d'où on vient, de mon trajet, de ce qu'il me conseille… C'est avec son accueil et ses encouragements que je repars pour Algeciras.
       J'avais complètement oublié ce moment, jusqu'à maintenant. Je suppose que c'est le signe que ma perspective a changé. De toute manière — et je le réalise encore et encore — il est vain de s'arrêter sur les petits tracas et les petites vexations. Et je n'en ai pas envie ; personne n'en a envie. Ils finissent toujours par s'enfoncer et disparaître dans la pâte opaque du continuum de l'existence. Ça n'a pas toujours été parfait, mais ça ne peut pas l'être, et on le sait, et c'est humain de l'espérer — ça rassure. Mais je ne pars pas pour me rassurer, au contraire. Si je dois faire les comptes — réflexe terriblement occidental — le positif supplante largement les petits négatifs. Peut-être même que le positif brille d'autant plus que le négatif est là pour faire contraste.
       Bref, quand on se lance ainsi et qu'on fait un peu le bilan a posteriori, il apparaît assez distinctement que les faits ne comptent jamais tant que la façon qu'on choisit de les voir. Il convient de savoir se laisser emporter par le flot des événements et comprendre que, d'une façon ou d'une autre, tout arrive pour le mieux.

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Voilà, j'ai fini :mrgreen: thx :cafe

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par darcphil34 »

Snifffff déjà la fin
Vivement le prochain opus, tu nous as régalé
Merci beaucoup et bon retour
Je te souhaite de re trouver le sens de ta vie
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Qohen
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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Qohen »

darcphil34 a écrit :
22 mars 2024, 21:08
Snifffff déjà la fin
Vivement le prochain opus, tu nous as régalé
Merci beaucoup et bon retour
Je te souhaite de re trouver le sens de ta vie
Merci ! thx


J'ai pu récupérer quelques images de ma descente dans la médina de Fès, rien que de revoir ça j'en ai des sueurs froides :lol:

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par claude19 »

Merci pour ces beaux compte rendu 😍.
Mon prochain départ pour le Maroc a été avancé.
Je pars le 6 avril de chez moi. Je descends l'Espagne et je prends le ferry à Algésiras vers Ceuta.
Retour à la maison pour le 29 avril.
https://laroutedusoleil.jimdofree.com
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Objectif 2024 : le Maroc en 4x4 , 2 roues motrices , départ le 6 avril
Je pratique le métier le plus dangereux du monde : RETRAITÉ, personne n'y a survécu.

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par ilie »

Merci de ce regal!on avait l'impression d'y être
Mais cette prose inhabituel et attirante vient
D'un vrai litteraire

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Fredcarbu »

Merci ! J'ai pris beaucoup de plaisir à voyager avec toi en te lisant !

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par dgero »

Merci Qohen et toutes mes félicitations pour ce partage de grande qualité narrative. :respect thx

Petite question, j'ai peut-être lu un truc en diagonal :pasmafote c'est qui cet enculé de Mohamed d'Assilah ?? Celui qui t'a fourgué le collier ?
Cdt Dgero :signe :fume
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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Qohen »

Merci pour vos commentaires !
dgero a écrit :
24 mars 2024, 10:05
Petite question, j'ai peut-être lu un truc en diagonal :pasmafote c'est qui cet enculé de Mohamed d'Assilah ?? Celui qui t'a fourgué le collier ?
Le vieux à qui j'ai cédé 50 balles sur le port d'Algeciras à l'aller :lol:

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par dgero »

J'ai du rater quelque chose dans la lecture :pasmafote
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Qohen
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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Qohen »

dgero a écrit :
24 mars 2024, 12:27
J'ai du rater quelque chose dans la lecture :pasmafote
Jour 1 :-D

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Flan »

Moi aussi je suis allé lire le début du coup !
J'avais pris le train en marche.
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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par dgero »

Qohen a écrit :
24 mars 2024, 16:55
dgero a écrit :
24 mars 2024, 12:27
J'ai du rater quelque chose dans la lecture :pasmafote
Jour 1 :-D
Ha oui ! démarrage en fanfare :pasmafote , 2 suceurs de touriste le 1er jour, çà mets en jambe.
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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Tacot »

Bonjour Qohen,
Belle tranche de vie avec toutes ses composantes.
Merci pour cette aventure qui raconte les bons moments et les (petites)galères qui vont forcement avec et qui rappelle qu'il y a souvent un monde entre le rêve et la réalité.
Bonne route pour tes futurs périples.

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Manu49 »

J'ai pris un grand plaisir à te lire.
Merci.

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Chris 12 »

Salut Qohen,
Merci pour ces belles tranches de vie, qui sont bien plus qu'un compte-rendu de voyage.
J'ai eu grand plaisir à retrouver un bon nombre des étapes de notre voyage en side dans le sud marocain il y a 5 ans déjà (on a fait demi-tour à Mhamid).
Bien content de voir qu'Ait Benhaddour n'a pas été touché par le tremblement de terre...
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Qohen
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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par Qohen »

Merci pour vos commentaires ! thx thx

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Re: Marc o' Maroc 2024

Message par dgero »

Chris 12 a écrit :
09 avr. 2024, 23:03
Salut Qohen,
Merci pour ces belles tranches de vie, qui sont bien plus qu'un compte-rendu de voyage.
Oui, bien plus..... :ouioui
Outre la plume, de la poésie..., un questionnement personnel... :ouioui
Cdt Dgero :signe :fume
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